Aujourd'hui on va parler de ce terme, la prophylaxie, ce gros mot qui ne permet pas seulement de briller en société lors d'une conversation jardinage.
Comme tout agriculteur.rice ou horticulteur.rice, nous transformons, même le moins possible, un espace naturel et nous y amenons des plantes qui n’étaient pas là auparavant.
Quand nos plantes, avec tout l’amour qu’on leur donne, s'implantent et commencent leurs croissances, elles peuvent quand même subir de nombreuses attaques. Vu que les solutions en curatif sont très restreintes en bio, il est primordial de penser en amont des cultures, d’anticiper les problèmes à venir et d’apporter des solutions prophylactiques.
La prophylaxie, ce sont les méthodes que nous mettons en place pour éviter les problèmes! On les apprend dans les livres ou en formation mais on les apprend aussi et surtout par l’expérience. Je ne prétend pas dans la suite vous brosser tous les gestes préventifs à adopter mais voici quelques exemples, histoire de montrer que ce métier, et surtout en bio, c’est anticiper!
Le système horticole et son environnement
Une ferme c’est des cultures mais c’est aussi un cadre, un écosystème. Et plus cet écosystème est riche en faune et en flore, plus l’équilibre du milieu est respecté. Oiseaux, insectes, batraciens mais aussi champignons et bactéries du sol aideront indirectement les cultures à garder une bonne santé en évitant une prolifération trop importante des insectes ravageurs ou des maladies fongiques. Soigner et enrichir le milieu environnant est la première méthode prophylactique! Tout est une question d’équilibre entre la sauvage et le cultivé.
Le choix des variétés
Est ce que je peux cultiver ici cette fleur, cette variété? En effet, il faut se demander si on peut faire pousser une fleur dans notre terre et sous notre climat. Cela passe souvent par le test car même si la documentation à son sujet semble vous donner le feu vert, il arrive que certaines fleurs demandent trop de traitements pour survivre dans notre ferme. Le bio c'est aussi se dire que ce n’est pas raisonnable… ou être raisonnable.
Les rotations
C’est la base. Cela semble logique pour la plupart d'entre vous mais pour avoir partager des moments de formation avec d'autres agriculteurs, je vous jure que ce ne l'est pas pour tous. Si l’agriculture conventionnelle peut s’en passer souvent grâce aux traitements chimiques et non sans conséquences pour le sol, elle est indispensable en bio. Faire tourner ses cultures, ne pas les replanter au même endroit chaque année permet de casser le cycle des ravageurs et d’en diminuer la pression. Comme un maraîcher se casse la tête à ne pas faire revenir trop souvent ses tomates au même endroit, le ou la floricultrice doit également penser la rotation de ses fleurs. L’idéal est souvent un minimum de 4 ans par famille botanique mais il faut l’avouer cela est souvent compliqué.
Pour aider à mettre les rotations en place, il faut bien penser son assolement et regrouper ses cultures idéalement par famille pour les faire tourner d’une parcelle à l’autre avec le maximum de temps entre les deux. Ça, c’est sur le papier. Dans la vraie vie, sur nos petites surfaces avec des dizaines voir des centaines de variétés cultivées, c’est assez laborieux. Mais il faut le prendre constamment en compte. Par exemple, on conseille de 5 à 10 ans pour le lisianthus!
La conduite de culture
Il y a tellement de questions à se poser! Mon sol est-il bon pour cette fleur? Est-il trop riche? Trop humide? Trop chaud? Est-ce la bonne période de plantation? Ma fleur va t’elle avoir assez de lumière? Ou trop? Et quelle distance entre les plants?
La période de plantation
Tout commence ici! On ne plante pas tout n’importe quand. Cela permet de diminuer les facteurs limitants pour une bonne croissance de la plante. Lumière, température, humidité changent d’une saison à l’autre. Même si de nombreux outils permettent de jouer artificiellement sur ses paramètres, le plus simple est de respecter la saisonnalité des fleurs pour garantir un plant robuste, assez fort pour se défendre!
Le sol
Chaque fleur a ses exigences au niveau du sol. Même si une constante veut que notre sol horticole soit bien aéré, riche en humus, avec une bonne capacité de rétention en eau tout en étant drainant, cela n’est pas forcément au goût de toutes les fleurs. A nous d’y faire attention et d’adapter notre travail du sol pour éviter des plants qui se développent mal et donc beaucoup plus sensibles aux bio-agresseurs.
Et qui dit sol dit amendements! Il faut savoir doser! Certaines fleurs sont exigeantes en nutriments, d’autres moins. Un apport trop important en azote par exemple peut donner des plants qui poussent rapidement et dont la structure très tendre sera idéale pour laisser entrer les maladies fongiques ou les piqûres de pucerons.
La température du sol est également primordiale pour le bon développement des plants. Certaines l’aiment chaud, d’autres moins. L'alstroemeria aime les sols frais alors que le zinnia a besoin d’un sol réchauffé pour bien s’implanter. Ils existent des méthodes pour influer sur la température du sol (paillage foncé qui capte la chaleur, paillage organique pour garder la fraîcheur, réseaux de tuyaux d’eau circulant dans le sol…) mais la méthode la plus simple est de surtout planter au bon moment, là où le sol à la température idéale. À noter: un sol argileux est un sol plus long à se réchauffer car il garde plus d’eau qu’un sol sableux.
L’espacement
Il est très important. On doit pouvoir adapter son espacement à sa fleur. La densité de plantation doit garantir un gain de place, un rendement au m2 voir une recherche de hauteur mais surtout une bonne aération entre les plants! Certaines cultures m’ont pris plusieurs années pour trouver le bon équilibre, un bon espacement pour assurer une production importante tout en ayant des plants sains. Si l’air ne circule pas bien, l’eau stagnante sur les feuilles ou au pied devient un nid parfait pour le développement des maladies fongiques, qui sont d’ailleurs de plus en plus présentes avec les années, les spores des champignons restant sur le sol longtemps en attendant le moment propice pour se développer et coloniser les plants. On revient donc à notre idée de bien faire ses rotations pour casser les cycles de ces bio-agresseurs.
Les outils de protection
De nombreuses attaques peuvent être évitées avec l’utilisation de “barrières” contre les bio-agresseurs. Les voiles anti-insectes permettent d'empêcher ces derniers de venir piquer, dévorer ou même pondre sur nos cultures! La PBI (Protection Biologique Intégrée) utilise des insectes auxiliaires pour défendre nos fleurs contre les insectes ravageurs. C’est une méthode coûteuse mais elle est aujourd’hui très utilisée et pas seulement en agriculture biologique.
Les produits phytosani naturels!
Une fois la plantation faite, il existe de nombreux traitements préventifs, fortifiants ou répulsifs, pour éviter les ennuis. Et c’est un monde infini! Il existe autant de méthodes qu’il y a d’horticulteur.rices. Purins, décoctions, cuivre, soufre…A nous de faire nos recherches et de trouver ce qui correspond le mieux à notre outil de production, nos fleurs et surtout à notre manière de travailler! J’ai par exemple depuis deux ans commencé à utiliser les MAB (Micro-organismes Autochtones Bénéfiques) pour mes plants qui grandissent en hiver sous tunnel dans un environnement propice aux maladies fongiques (humidité). Aspergés sur les plants avec des purins, ces bactéries, champignons et levures viennent coloniser la surface de la plante et créer une barrière protectrice empêchant le mycélium des champignons de la pénétrer.
L’observation!
Pour finir, je rajouterai un point simple mais tellement important: il ne faut jamais arrêter d’observer ses cultures! Toujours prendre le temps d’en faire le tour régulièrement et observer l’uniformité de la culture, la couleur des feuilles ou la vigueur des plants. Il faut aussi regarder de plus près pour détecter le point de départ d’un foyer de pucerons ou de botrytis et l’éliminer rapidement. Cela aide souvent à arrêter la propagation.
Mon cas d’école
Pour terminer ce post sur la prophylaxie, j’aimerai vous parler de ce que j’appel “mon cas d’école”: la culture de l’anémone (Anemone coronaria).
L’anémone est une culture que j’ai fait dès le début. Plantée sous tunnel, j’ai suivi les indications de mon fournisseur en les plantant fin août sous abris froid pour des récoltes commençant tranquillement vers novembre avec un pic de production en février. Les premières années, pas de soucis. Étant sur un retour de prairie, je n’avais aucun passé horticole sur la parcelle et donc aucune pression sanitaire déjà en place. Je la plantais donc allègrement et en quantité!
Pour la production hiver 2022/2023, je repars sur le même itinéraire technique. Plantation fin août, même préparation de sol, même espacement. Les plants poussent vite, ils sont très denses. En octobre, je commence à voir les premiers foyers de botrytis puis d’anthracnose. Je nettoie, je mets des purins (curatifs et ensuite préventifs). L’hiver arrive et là l’humidité augmente un maximum dans le tunnel. Je continue de nettoyer, j'aère un maximum mais rien à faire, c’est la cata! La culture est ravagée par les maladies fongiques et je ne récolte pas plus de 2 seaux avec 3000 cormes plantées… Finie la lune de miel des premières années, la pression sanitaire est là! Il faut que j’arrive à comprendre ce qui ne va pas dans ma conduite de culture pour éviter ces soucis sanitaires.
Après réflexion, j’ai identifié 3 causes principales:
La période de plantation
Planter fin aout, et surtout après l’été caniculaire de 2022, c'est planter dans un sol chaud! Les anémones ont poussé très vite et je me suis retrouvée, en utilisant le même espacement que les années précédentes, avec des plants très feuillus, très denses et aussi très tendres car ils avaient poussé trop rapidement. Arrivé en saison hivernale, l’humidité est importante dans le finistère nord! Elle s’est donc accumulée entre les plants à cause de cette densité de végétation empêchant une bonne circulation de l’air. J’avais créé le logis parfait pour les champignons qui n’ont eu aucun mal à pénétrer les feuilles tendres de mes anémones.
La rotation
Grisée par les bonnes ventes des renoncules et des anémones sur les premiers marchés de la saison, j’avais vite augmenté les quantités sur ces fleurs de la même famille botanique, les renonculacées. Je me retrouvais à faire une rotation sur 2 ans entre les anémones et les renoncules… Pas assez pour casser le cycle des maladies fongiques.
Les traitements curatifs
Ceux autorisés en bio n’ont pas réussi à calmer la dispersion des maladies. J’y serais peut être arrivé avec des traitements chimiques mais bien sûr c’était hors de question!
Donc voilà! Des plants fragiles, une humidité constante et une pression sanitaire déjà présente ont eu raison des anémones cuvée 2022/2023. Face à cela, j’ai pris donc plusieurs décisions pour régler la situation:
La période de plantation
Une plantation en octobre dans un sol plus frais et sans paillage noir pour qu’il le reste! Arrivé à la période hivernale et humide, les plants sont plus petits et donc l’air circule mieux. Tant pis pour les récoltes dès novembre, cela est trop difficile à conjuguer avec mon climat.
La rotation
Moins de renonculacées pour plus de temps! J’ai diminué les quantités en renoncules et anémones pour ne remplir qu’un seul tunnel au lieu de 2 par an et ainsi, avec mes 4 tunnels, établir une rotation sur 4 ans. Mieux vaut en faire moins mais mieux.
Des traitements… mais préventifs!
Je fais désormais régulièrement une aspersion à base de purins et de MAB pour fortifier les plants.
L’anémone fut une bonne leçon pour moi et je tente toujours d’anticiper au mieux les problèmes, et pas seulement avec cette dernière!
Après, même avec toutes les méthodes prophylactiques, on est jamais à l’abris d'événements tragiques sur nos cultures même si on met toutes les chances de notre côté. Il faut aussi l'accepter… et surtout se pardonner!
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